Isabelle Filliozat psychothérapeute, psychopraeticienne, conférencière et auteure de différents ouvrages particulièrement riches pour les parents, comme notamment «Il n’y a pas de parent parfait», «J’ai tout essayé», «ll me cherche». C’est l’une des figures de la parentalité positive.
Isabelle a répondu en exclusivité aux questions de Jumeaux&Co et à celles posées par les parents de jumeaux et tribu sur nos réseaux sociaux.
Quels conseils donneriez-vous aux parents et futurs parents de jumeaux?
Je ne donne pas de conseil. Donner un conseil induit à une relation top-down. Je peux fournir des informations, des idées mais je m’abstiens de donner des conseils. Mieux vaut d’ailleurs que les parents et futurs parents évitent d’écouter des conseils surtout si la personne cherche à les culpabiliser. Avoir des jumeaux est une expérience particulière, si l’on n’y a pas été confronté on ne peut en mesurer les enjeux.
Chacun est libre de vivre son expérience de parent car la relation avec son enfant est une relation individuelle. Il n’aura pas une autre vie, pas deux fois la même minute pour vivre cette relation. Il est libre de changer l’instant.
Élever des jumeaux, plusieurs enfants du même âge ou d’âges rapprochés peut générer du stress (fatigue, pleurs.). Comment gérer ce stress?
L’objectif est déjà de réussir à ne pas se disputer avec le papa/la maman. Il y a forcément plus de stress, plus de nécessité. Sous stress on a tendance à agresser. Si on agresse l’autre, on s’éloigne de notre ressource principale. C’est un phénomène normal que d’agresser quand on est sous stress. Au lieu de s’agresser on peut se faire des câlins, se rapprocher, se parler …
Et dans le cas des mamans solos, des papas absents?
Si le papa n’est pas présent, on peut faire appel aux copines, aux copains, aux grand-mères, aux bonnes fées… Vouloir jouer les super-women c’est l’épuisement assuré. Il faut oser demander !
Ce qui n’est pas normal c’est l’isolement des mamans d’aujourd’hui. Chaque famille se retrouve en duo dans un petit appartement. On est fait pour vivre en tribu,avec pleins d’enfants d’âges différents, les grands-parents, les oncles et tantes. Nous sommes des animaux sociaux, faits pour vivre en groupe. On ne peut y arriver seul, une maman épuisée ne peut s’en sortir seule.
Comment naissent les rivalités entre enfants? Pourquoi s’ennuient-ils quand l’autre n’est pas là et se disputent-ils lorsqu’ils sont ensemble?
Nous interprétons cela comme une rivalité, mais ce n’est pas forcément de cela dont il s’agit. Il y en a forcément un peu, car ils sont deux, ils ont les mêmes besoins. La maman met le premier au sein pendant que l’autre patiente …
Mais on a tendance à surinterpréter. Ce n’est pas parce qu’ils veulent tous les deux la même chose qu’il s’agit de rivalité. Il existe un phénomène appelé «neurones miroirs». Si un adulte observe un autre prendre un objet il peut imaginer ce que ressent l’autre en l’utilisant. Un bébé ne peut faire ce cheminement mentalement. Si bébé 1 prend un objet, bébé 2 va le vouloir pour ressentir ce que ressent bébé 1. Il lui faut l’objet. C’est naturel de vouloir le même objet. Les neurones miroirs fonctionnent d’autant plus quand on se ressemble. C’est ce qui permet d’apprendre. On se calque sur les mouvements pour se les approprier.
Comment le parent peut-il faire en sorte d’estomper les tensions (morsures, tapes…)?
Entre jumeaux,les tensions ne sont pas la majorité. Au contraire leur cerveaux ont tendance à s’accorder.
Si les enfants se battent beaucoup c’est que leur cerveau est en conflit. Il convient sans doute de rechercher le stress généré par les parents (stress lié au travail, ils se battent ou disputent entre eux …).
Taper, mordre, lancer sont des réactions au stress. L’enfant n’a pas ce contrôle. C’est au parent d’aider et pacifier ce stress en offrant à l’enfant un cadre de vie peu bruyant, peu stressant. Il faut se rappeler qu’un cerveau stressé va attaquer.
Avant 2 ans l’enfant n’a pas de mauvaise intention envers l’autre enfant. Si un enfant mord et que le parent crie, il ne comprend pas la relation de cause à effet. Ce qu’il va comprendre c’est que s’il mort, maman se fâche et il va donc réessayer pour voir. Il veut apprivoiser maman. Si un enfant mort un autre, on n’hésite pas à prendre tout le monde dans ses bras. On n’arrivera pas à lui expliquer que « mordre c’est pas bien » mais on peut faire parler celui qui a été mordu pour activer l’empathie. Tenter de lui faire comprendre : tu as mordu-il a mal -il pleure.
Les parents peuvent faire en sorte de tisser l’empathie, surveiller les enfants et intervenir avant qu’ils se battent, diriger l’enfant vers autre chose. Avant qu’ils ne sachent parler on peut leur enseigner un geste, un signe avec les mains à faire pour exprimer leur ressenti.
Et si ces tensions se prolongent au-delà des 2/3 ans?
Si cela se prolonge c’est que les enfants n’ont pas acquis de techniques de communication. Ils ne savent pas se parler, détecter que l’autre demande du contact. Il faut leur fournir les aptitudes sociales. Le livre qui explique bien ces aptitudes sociales est « Arrête d’embêter ton frère, laisse ta sœur tranquille ». Il est écrit par Elizabeth Crary et publié dans la collection Parent+ que je dirige aux éditions JC Lattès. J’en parle aussi beaucoup dans mes ateliers Fratries : les clés sont les aptitudes sociales que l’on peut leur permettre d’appréhender. Mais déjà avec un ce n’est pas simple alors avec deux !
Comment créer de la sérénité entre les jumeaux et l’ainé(e)? Gérer l’arrivée d’un suivant?
Encore une fois la clé c’est de les aider à acquérir des aptitudes sociales. Ne jamais les obliger à prêter. Prêter c’est dur! L’enfant n’est prêt qu’à partir d’un certain moment. Il faut laisser faire le processus, respecter leurs objets , leurs jouets, leurs vêtements. Il est important de réaliser que les enfants petits n’ont pas acquis toutes les possibilités mentales.
Un jour j’ai demandé à ma fille aînée de donner son pull trop petit à son frère et elle a refusé. J’ai respecté. Elle l’a porté deux jours d’affilé puis elle est venue d’elle-même lui donner.
Lorsque les enfants font bloc, à l’adolescence par exemple, comment sortir du conflit?
On parle ici de bloc, le référentiel est extrêmement guerrier. Le mieux c’est de rentrer le moins possible dans les rapports de force. On peut garder les jeux de pouvoir pour les questions de sécurité (« je dois t’attacher dans ton siège-auto je n’ai pas le choix, ta sécurité en dépend »). Mais éviter au maximum les rapports de force. A l’adolescence les enfants deviennent relativement agressifs, rien ne sert de le prendre pour soi.
C’est lié au phénomène d’attachement : petits ils s’attachent à maman, à l’adolescence à leurs pairs et deviennent plus agressifs envers les parents. C’est pour cela qu’il est important de tisser de l’attachement au maximum. Ne pas laisser les adolescents seuls, recréer de l’attention, créer des moments ensemble, des voyages. Il existe de plus en plus de jeux de société intéressants que l’on peut faire ensemble à condition de ne pas les harceler. C’est d’autant plus difficile que cela rappelle au parent sa propre adolescence. Le parent se sent rejeté, il risque d’être plus autoritaire.
Plus il y a de connections plus l’adolescent est protégé. Ce ne sont pas les limites qu’on lui a mises, mais l’attention qu’on lui a porté qui évitera qu’il fasse une bêtise.
Avoir plusieurs enfants en même temps peut créer un sentiment de frustration (on ne profite pas pleinement …), quels sont les outils?
La vie est faite de frustrations. D’autres mamans peuvent être frustrées de ne pas pouvoir avoir d’enfant, d’avoir un enfant handicapé…
L’avantage d’en avoir deux est de pouvoir gérer cette frustration en faisant garder un des enfants et en passant du temps individuellement avec l’autre. Ce qui change c’est la charge de travail. C’est une réalité.
Mais eux aussi sont frustrés. Chacun des enfants n’a jamais une maman pour lui tout seul.
On peut appeler ça une expérience de vie, avoir des jumeaux est une expérience fabuleuse.
C’est plus dur au quotidien pour les mamans mais ils s’occupent et se fournissent de l’affection entre eux, donc sont aussi moins demandeurs.
Qu’aimeriez-vous ajouter de plus, dire aux parents de jumeaux ou tribu?
Il est impératif de se faire aider. Ne pas avoir à l’idée que l’on est une mauvaise mère si on y arrive pas.
Ce n’est pas parce qu’ils s’occupent bien ensemble, même à deux ans, qu’on les laissent seuls. On surveille, on ne les laisse jamais seuls un instant sans être dans la pièce jusqu’à au moins 4 ans. On peut faire autre chose mais on surveille pour éviter un accident.
Les enfants ont tendance à se modéliser entre eux. Le plus jeune se calquant sur le plus âgé. S’ils ont le même âge ils auront tendance à s’entraîner l’un et l’autre. If faut savoir qu’une maman de jeune enfant est en déficit annuellement de 600 heures de sommeil environ, d’où son manque de vigilance. Les deux clés sont donc : on surveille et on se fait aider.
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Je comprend pourquoi on répète qu’il ne faut pas laisser un enfant seul dans une pièce mais soyons honnêtes : ce n’est PAS possible… Pour moi c’était déjà difficile avec ma première, ça n’est carrément pas envisageable depuis la naissance de mes jumeaux…. Et vous savez quoi ? C’est tant mieux pour tout le monde : près enfants apprennent à être seuls quelques instants dans que ce soit un drame, ils apprennent l’autonomie et ils apprennent que j’ai confiance en eux. Et moi, je peux faire autre chose de temps en temps : la vaisselle, à manger, un câlin à l’un des trois… L’essentiel, c’est que l’environnement soit suffisamment sécure…
Chouette article sinon, le bon sens et la justesse d’Isabelle Filliozat comme toujours.